10 octobre 2019

AEFE : l’opérateur public

Après les autoroutes et les aéroports de Paris… l’enseignement français à l’étranger !

Après les autoroutes et les aéroports de Paris… l'enseignement (...)

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“Développer l’enseignement français à l’étranger : un nouvel élan” tel était le titre de la conférence de presse qui s’est tenue au quai d’Orsay le 3 octobre en présence de JY Le Drian, JM Blanquer et JB Lemoyne.

Quel élan ! Pour l’essentiel, des mesures déjà annoncées et surtout une nouvelle étape vers la privatisation du réseau.

Un contexte de compétition internationale

Dans ce contexte, l’éducation est devenue un « enjeu géopolitique », l’enseignement français à l’étranger étant «  un instrument stratégique de notre diplomatie d’influence ». Donc, il s’agit de livrer une « bataille » en répondant à l’ambition présidentielle de doublement du nombre d’élèves des écoles d’enseignement français à l’étranger à l’horizon 2030 (discours d’E. Macron à l’Institut de France, le 20 mars 2018) en scolarisant notamment plus d’élèves étrangers (actuellement, ils représentent les deux tiers de nos élèves et leur nombre progresse plus fortement que celui des élèves français).

Attirer les investisseurs et les parents

Le rôle de l’AEFE, « colonne vertébrale du réseau » a été affirmé. Toutefois, si le Ministre a rappelé que l’Agence devait veiller au développement du réseau existant (comprenant aussi les établissements en gestion directe et les conventionnés), il a surtout été question de "l’extension" du réseau. L’État engage l’AEFE dans le développement d’établissements concurrents, dits "partenaires" ! Un seul service de l’Agence a été cité ! : le Service de l’appui et du développement du réseau (SADR) est destiné à accompagner, dans tous les domaines, des investisseurs publics ou privés ayant l’intention de demander l’homologation du Ministère de l’Éducation nationale et de devenir des établissements "partenaires" de l’AEFE. L’outil AEFE, financé par la dotation de l’État, est donc au service des investisseurs. C’est d’ailleurs déjà le cas : outre le SADR, les IPR de l’AEFE consacrent une grande partie de leur temps aux missions d’homologation et à son suivi ; quant au site de l’AEFE, il héberge des annonces de recrutement pour ces nouveaux établissements !

Le rôle des parents d’élèves a été salué. Il faut dire que l’État se désengageant progressivement, la participation des familles a augmenté et elle atteint maintenant plus de 60% du financement des établissements. Pour répondre à leurs attentes, il est prévu de renforcer l’éducation plurilingue avec un doublement des sections internationales (de 138 aujourd’hui à 276 à terme). Ceci porterait à rire alors que dans le cadre du nouveau bac les élèves ne peuvent prendre que deux options linguistiques et que le nombre de langues offertes en spécialité a été considérablement réduit ! Les établissements doivent aussi devenir des « laboratoires d’innovation numérique ».

Pour flatter les parents, la composition du Conseil d"administration de l’Agence sera modifiée : outre un représentant des anciens élèves, les représentants de parents d’élèves passeront de deux à quatre. C’est sûr, ça va tout changer… Mais, parmi eux, se trouvent de potentiels investisseurs ! Ils seront aussi mieux associés à la préparation du budget des établissements. Dans les conventionnés ? Ne l’étaient-ils pas par le comité de gestion ? En EGD ?

L’homologation a été simplifiée avec un allègement des critères qui passent de 10 à 6. Il sera dorénavant possible d’obtenir l’homologation dès la première année (au lieu de deux actuellement) et sans aucun enseignant titulaire dans l’établissement ! « Moins bureaucratique » avec un « guide en ligne » pour « plus d’interactivité », c’est certain les investisseurs vont accourir...

Et les personnels ?

Ils ont très peu été présents (un vague remerciement de Le Drian), si ce n’est pour la « mobilité » et la formation. Pour faire face à cette extension espérée du réseau, il faudra des enseignants.

Le Ministère de l’Éducation nationale fera « un effort » substantiel en accordant 1000 détachements supplémentaires… en 10 ans. Il ne faut pas se leurrer : ces collègues seront essentiellement recrutés dans des établissements privés car il n’y a pas d’augmentation des postes budgétaires de l’AEFE prévue dans le même laps de temps. Des détachés donc, mais avec quel contrat ? Quelle rémunération ? Quelles conditions de travail ? Ce n’est certainement pas le souci du Ministre qui simplifie l’homologation… alors les questions de ressources humaines !

Ces détachements supplémentaires ne suffiront pas et il faudra donc former des enseignants recrutés locaux.
Le 1er janvier 2020 seront ouverts 16 instituts régionaux de formation  : destinés à assurer la formation continue des enseignants, ils remplaceront les lycées mutualisateurs. Qui dispensera ces formations ? Selon quelles modalités ? Nous sommes dans le brouillard.

La formation initiale a aussi été abordée par Blanquer. Dès janvier 2020, des expérimentations de certification spécifique à l’enseignement français à l’étranger commenceront dans plusieurs INSPE. Dès septembre 2020, elle sera incluse dans le master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation). Depuis quand l’acte d’enseigner diffère-t-il entre la France et les établissements français à l’étranger ? Les nouveaux professeurs qui ne choisiront pas cette option pourront-ils prétendre à enseigner à l’étranger ? Les étudiants ayant obtenu la certification mais n’ayant pas été admis au CAPES (ou autre concours) pourront toujours devenir… recrutés locaux !

Enfin, Blanquer a présenté l’augmentation de la « mobilité des enseignants » (avec la limitation à 6 ans des nouveaux détachements) comme bénéfique à la fois de l’étranger et de la France. Quid des personnels ? De leur vie familiale ? Quid des établissements ? Dans les zones difficiles ou éloignées, comment pourvoir les postes avec un tel turn over ? Qu’en sera-t-il de la stabilité des équipes pédagogiques ?

Une mobilisation au service du développement de l’enseignement français à l’étranger

Les ambassades sont appelées à mettre en œuvre des plans locaux de développement des établissements.

Un Conseil d’orientation de l’enseignement français à l’étranger réunira annuellement le MEAE et le MEN. Neuf ? Pas du tout... ce Conseil existait déjà mais ce gouvernement ne l’avait pas réactivé !

Un « effort budgétaire substantiel » de 25 millions d’euros

Faut-il rappeler que ce gouvernement avait ponctionné l’AEFE de 33 M € entraînant un plan d’économies se soldant par 512 suppressions de postes ? Le compte n’y est pas, mais on pourrait se satisfaire de cette annonce en se disant que des postes pourraient être à nouveau créés dans le réseau AEFE. Que nenni ! Il s’agit de « soutenir l’AEFE dans sa mission nouvelle d’accompagnement des investisseurs publics et privés » ; ainsi un million d’euros sera consacré à l’accompagnement de l’homologation.

De plus, 5 millions d’euros sont déjà fléchés pour le financement des 16 pôles régionaux de formation à l’étranger ; 12 millions d’euros permettront de ramener la participation forfaitaire complémentaire des établissements à 6 % au 1er janvier 2020 (7,5 % cette année). Cette mesure était déjà prévue dans le plan d’économie. Enfin 2 millions seront destinés à l’école numérique.

In fine, rien de bien nouveau, si ce n’est l’affirmation du développement des établissements privés. Mais des questions supplémentaires. Pourra-t-on encore parler d’un réseau ? Qu’en sera-t-il du budget accordé aux bourses si les effectifs augmentent ? L’« effort budgétaire » sera-t-il pérenne ?